Monday, January 28, 2008

Dieu a-t-il créé la nature?

Ce spectacle maintenant en danger, celui des formidables circonvolutions de la toute-puissante nature - formes et passions, miroir de l'homme plus parfait que son sujet même - ce spectacle-là suscite autant d'interrogations que d'émerveillements. L'extase née de son observation est une manière de rêverie étrange qui provoque toujours des cheminements de pensée étonnants. Effacé du monde et soumis aux forces qui ne sont pas celles de l'homme, l'on semble Narcisse se contemplant lui-même à travers le spectacle naturel. L'on cherche une morale; qui dans l'admirable perfection de détails d'une fleur au dessin complexe; qui dans les sinueux chemins de racines semblant livrées à elle-mêmes vers une destination gardée secrète. Toutes ces formes semblent obéir à une impulsion commune, une direction générale, et tendre passionnément vers un but qui n'a pas été révélé à l'humanité.

Et l'homme, qui croit dominer l'échelle naturelle, lui n'a eu accès à aucun secret de la nature. Il en perçoit quelques mécanismes, mais jamais les buts, et surtout jamais le langage.

Il se contemple lui-même quand il admire la nature et comprend qu'il appartient à un même ensemble vivant que ses frères et soeurs végétaux et minéraux. Il comprend qu'il n'est que partie d'une machine qui à la fois le dépasse et le l'inclut, bienveillante et toute-puissante. Elle pourrait l'écraser, l'étouffer, le faire disparaître à sa guise quand il a l'impudence de se confronter à elle, de vouloir opposer sa civilisation et sa vision ordonnée du monde sans rien entendre à l'ordre intime et mystérieux qu'elle impose à toute forme de vie. Mais non, charmeuse et sûre de sa force, elle offre l'ombre de ses feuilles pour abriter la marche du voyageur, la saveur de ses fruits pour satisfaire son ventre affamé et ses tapis de mousse odorante pour un repos mérité. Et toi, homme, tu crois pouvoir disposer d'elle à ta guise? Mais c'est elle qui dispose de toi, pauvre âme folle et innocente dans sa culpabilité première.

Pour beaucoup, les mystères de la nature sont la preuve de l'existence de Dieu, sa création la plus achevée et le lieu de sa célébration, plus qu'aucun autre. Finalement, cette attitude, toute aveugle que l'on veuille bien la croire, est moins orgueilleuse que celle qui prétend tout comprendre au langage de la nature. Elle considère toutefois que Dieu n'a créé la nature que comme un splendide berceau de l'humanité, qu'elle aurait ensuite cessé de mériter. Au commencement était Eden, et son couple primitif et parfait. En ces temps, tout était un, et l'homme et la nature n'étaient qu'un, et l'animal et l'homme n'étaient qu'un. Puis, l'homme tenté et pêcheur fut expulsé du jardin unique et tout devint pluriel, divisions et batailles.

"Il est un Dieu; les herbes de la vallée et les cèdres de la montagne le bénissent, l'insecte bourdonne ses louanges, l'éléphant le salue au lever du jour, l'oiseau le chante dans le feuillage, la foudre fait éclater sa puissance, et l'Océan déclare son immensité. L'homme seul a dit: Il n'y a point de Dieu."

Alors, l'homme s'inventa un être différent, vivant dans la nature, mais ne faisant pas partie d'elle, et s'affranchit de ses devoirs envers la communauté des espèces vivantes. Il était le grain de sel dissous dans l'eau et devint l'algue prise dans les flots. Il pris conscience d'être humain; rencontrant d'autre hommes, il prit conscience d'être peuple; rencontrant d'autre familles, il prit conscience d'avoir engendré et finalement prit conscience d'être un. La nature devint pour lui un simple symbole et non plus la mère nourricière; elle représenta à la fois ce qui lui apporte ses bienfaits et ce qui le menace. Au fil des siècle, l'homme se servit de la nature pour affirmer que Dieu était et ne pouvait pas ne pas être. Il prenait ainsi conscience d'être corrompu et puni par son créateur. Mais il s'en servit tout autant pour arguer que Dieu n'était pas. Pourtant, ne défendrait-il pas sa création, n'arbitrerait-il pas les duels entre ses différentes engeances? Que les hommes, condamnés à être divisés par leur faute même, que les hommes se livrent à des massacres entre eux, soit. Pour le théologien, cela n'est que le signe de ses péchés passés, la punition divine. Mais nul créateur ne laisserait ses créations se détruire ainsi sans prendre parti! L'homme dispose maintenant du monde, arguent certains, et Dieu lui en a laissé la charge.

L'homme ne serait alors qu'un enfant de Dieu qui aurait enterré son parent, ainsi que le veut l'ordre des choses. L'héritage est ensuite dilapidé et disputé entre les différents partis. Histoire banale, finalement.


Citation: René de Châteaubriand, Génie du Christianisme
Illustration, Thomas Cole, The Expulsion From the Garden of Eden

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