Tuesday, March 25, 2008

Liszt, le paysage à lui seul


Laissant encore le pauvre Haydn de côté pour quelques temps, je voudrais me pencher sur un aspect important de la musique paysagiste, qui pose problème par rapport à mon ébauche de grammaire, basée principalement sur des principes d'orchestration. Je veux parler de la musique paysagiste pour un instrument seul. Mes première recherches ne m'ont pour l'instant permis de dégager un mini-genre de musique paysagiste pour instrument solo que pour piano, mais si vous avez d'autres exemples, je serais heureux de les découvrir.

Premièrement, ne changeons pas trop de piste et allons au plus évident. En 1838, Franz Liszt commence à travailler à des transcriptions des Symphonies de Beethoven pour piano seul et publie cette même année celles des numéros 5,6 et 7. A cette époque, Schubert puis Schumann avaient grandement popularisé les formes "domestiques" de la musique, Lieder et pièces pour piano, vouées à être jouées dans un cadre familial ou la plupart des enfants, et surtout les jeunes filles, apprenaient à jouer au piano. Les transcriptions d'œuvres orchestrales importantes étaient devenues chose utiles et nécessaires, afin de porter dans les intérieurs et les salons les grandes œuvres du 19° siècle. Celles de Liszt pour les symphonies de Beethoven sont impressionnantes de virtuosité et n'entrent donc pas tout à fait dans le cadre de la mission présentée, puisque son travail exceptionnel pour rendre au mieux les complexités orchestrales du maître en rendent l'exécution quasi impossible pour un simple amateur, même chevronné.

Mais l'on voit où je veux en venir. Puisque la Sixième Symphonie de Beethoven nous avait offert les premiers codes du paysage musical, l'occasion est trop belle dans la transcription pour piano seul d'essayer d'enrichir notre langage. Ces analyses pourront s'avérer utiles lorsque nous croiserons de futures musiques à étudier. Retrouvons notre orage, quatrième mouvement de la Symphonie pour voir de quelle manière Liszt exprime un événement décrit d'une manière si réaliste avec son piano seul.



Comme on aurait pu s'y attendre, la main gauche fournit un travail énorme - une habitude chez Liszt, qui avait perfectionné une technique avec son pouce sensée faire croire à la présence d'une troisième main sur le clavier, mais encore plus justifiée dans ce cas - d'évocation des instruments percussifs. Les accords frappés, spatialisés, semblent représenter le fond de l'orchestre, tandis que la main gauche évoque admirablement les bois. La main gauche, un peu comme à la manière du Schubert d'Erlkönig, répétitive mais sans cesse mouvante, représente la nature en furie, l'orage ou la tempête (de neige chez Schubert). Les aigus insistants, les notes stridentes de la version orchestrée, évoquant l'orage dans leur dissimulation derrière les basses furieuses entrent ici dans une nouvelle relation, et les notes les plus hautes du clavier ne sont nullement dissimulés. Les longs arpèges de la main droite, les montées-descentes sur le clavier, puis leur réponse exacte de la main gauche semblent à l'oreille une furie ravageuse, le tonnerre et l'éclair qui se répondent avant de s'unir pour lâcher des trombes d'eau sur notre légère fête estivale.



Dans la petite pièce nommé Eclogue (qui est l'autre nom donné aux Bucoliques virgiliennes), composée lors de "l'exil" un peu volontaire de Liszt en Suisse puis en Italie, une autre technique pianistique qui sera vouée par la suite à un destin orchestral étonnant naît de ces mêmes arpèges répétitifs de la main droite. On évoquera comment dans la musique du 19° et puis à Hollywood, la harpe sera l'instrument de prédilection pour évoquer un cours d'eau dans ses dimensions les plus pacifiques et bucoliques. On l'entend déjà, cette harpe, dans la petite pièce de Liszt qui évoque évidemment un cours d'eau dans une montagne suisse, auprès duquel un berger ou un compositeur s'assoupira un moment, laissant libre court à son inspiration ou à sa relation fusionnelle avec la nature.



Nous retrouvons la même technique dans une pièce splendide d'évocation de la nature, Jeux d'Eau à la Villa d'Este. Qui n'a pas vu les Cent Fontaines ou les petits cours d'eau omniprésents qui descendent le long de la villa de Tivoli pour irriguer d'autre fontaines en contrebas ne pourra pas percevoir à quel point ce morceau est une évocation étonnante d'une promenade dans la villa du Cardinal, où Liszt fut invité à séjourner fréquemment à partir de 1869. Mais qui n'en percevra pas l'habile évocation aura en retour la chance d'imaginer l'abondance aquatique et la profusion de ces Jeux d'Eau évoqués par le clavier de Liszt. Nous avions vu précédemment la partie main gauche du clavier servir de description et la partie main droite être plus du côté de la narration. Cette fois-ci, Liszt se sert quasiment exclusivement de la partie haute, faite à la fois narration et représentation. L'eau est l'élément unique représenté, d'où une prédominance des arpèges aigus et quelques ponctuations qui ne sont jamais vraiment basses, semblant offrir musicalement le contrepoint que font les jets de différente taille entre eux, et évoquant les pas du promeneur évoluant d'une fontaine à l'autre.

1 comment:

thomas said...

Hello...non ce n'est que moi! :)