Friday, March 14, 2008

Pour une grammaire de la musique paysagiste II

Décors et personnages : Pastorale et origines de la musique de paysage

"En reposant, Tityre, à l'ombrage couvert
De ce hêtre au feuillage épanchement ouvert,
Tu mets sur le pipeau d'une avène légère
L'air de mainte chanson doucement bocagère.
Et nous, pauvres chétifs, nous laissons loin de nous,
Les fins de notre terre et nos villages doux :
Nous fuyons notre terre, en saison si mauvaise.
Toi cependant, Tityre, en l'ombrage à ton aise,
Tu apprends aux forêts à rebruire en chansons
La belle Amaryllide au rebat de tes sons."

Il ne s'agit nullement de considérer la musique à part. Si l'on a pensé que telle était mon intention, l'on s'est trompé. Le paysage est en art un argument symbolique, que ce soit à un niveau conscient de métaphore visible ou à l'échelle d'un courant entier, celui du nationalisme Scandinave ou Américain par exemple, et qui donc se transmet au fil des ans et de l'intérêt des artistes, au mépris des catégories artistiques qu'il nous plaît tant de supposer.

Virgile présente la vision la plus nette de l'Antiquité d'utilisation symbolique du paysage. Il développe ainsi le mythe de la Pastorale, argument métaphorique qui connaît une longévité historique impressionante et principal raison du paysage. Or, la musique paysagiste naît elle aussi de la Pastorale, développant des langages qui lui sont propres pour exprimer le mythe. C'est ce langage musical de la Pastorale qui servira à fonder la musique paysagiste qui nous intéresse. Ainsi, certains thèmes, certaines orchestrations, certaines situations de la Pastorale racontées en langage musical seront réutilisées et parfois dévoyées, modifiées pour finalement raconter la nature et le paysage dans un sens général.

Dans Les Bucoliques, Virgile oppose deux visions politiques à l'époque d'une grande crise, qui ne sont pas sans évoquer Rousseau ou les années 60-70 aux Etats-Unis. Alors que les terres sont saisies et redistribués, Tityre, le berger qui parvient à vivre en harmonie avec la nature et qui par la même occasion ne se préoccupe pas de l'avenir s'oppose à celui de l'homme de son temps. Tityre est déjà associé à la nature en tant que musicien, comme l'était Orphée. La nature est un lieu où fuir le monde réel et où se réfugie l'art; la succession des saisons, par son immuabilité, ramène l'homme à la raison et lui inspire les idées les plus hautes.

Parlons des Quatre Saisons, justement. Nul n'est besoin de présenter outre mesure les quatre concertos de Vivaldi qui ont comme sujet le cycle de la nature. Evoquons rapidement le plus connu des quatre concerti, le Printemps, pour noter que Vivaldi se situe directement dans le champ de la narration, de l'histoire, alors que ses morceaux auraient pu être basés essentiellement sur l'évocation. Le premier mouvement du morceau offre ainsi un terrain d'expression à la virtuosité sonore du violon de Vivaldi pour mimer les sons des oiseaux dans la nature. Le décor est posé, et puisque décor il y a, nous somme bien du côté de la représentation. Nous retrouvons notre berger hérité de Virgile dans le second mouvement, qui reflète en quelque sorte la nature, vivant en harmonie avec elle. Les deux forces opposées mais fertiles de la musique paysagiste - c'est aussi vrai de la peinture et d'aucun poéticiens l'associent au dilemment de l'art en général - sont présentes ici : la représentation et la narration.



Le second concerto, l'Eté, permet d'étudier plus en détail ces deux forces que j'évoquais. Le concerto entier raconte l'arrivée et l'explosion d'une tempête estivale et en quelque sorte l'histoire du berger qui subit les foudres de la nature. Les changement de dynamique, la volonté d'opposer des instruments jouant en solo à l'orchestre sont des constantes de la représentation de la nature que nous verrons à nouveau dans l'histoire de la musique. Cet aspect est propre au genre évidemment, mais on peut l'analyser sous un jour nouveau ici - à mois que ce ne soit le contraire et que le fait qu'un concerto ait été l'œuvre fondatrice de notre genre ait influencé les écritures à venir. Cordes pincées et tutti en renfort; envolées de violons contre une base musical immuable; larges coups d'archet des éléments les plus graves de l'orchestre; coups de tonnerre et de vent contre une pluie qui ne cesse de tomber, ainsi sont exprimées les éléments déchaînés. L'urgence de cette musique qui va toujours vers l'avant exprime une autre préoccupation du paysage, motif antithétique de la sereine Pastorale : l'élément sublime de la nature en furie.



Nous retrouvons justement le berger et l'orage dans la symphonie qui fonde les codes d'écriture de la musique paysagiste. Le 4° mouvement de la Sixième Symphonie de Beethoven - la Pastorale - commence d'une manière étonnemment similaire au troisième mouvement de l'Eté.



L'ampleur nouvelle de l'orchestre et l'ajout de percussions sont cruciaux pour ce qui deviendra synonyme de musique de paysage à notre oreille. La science du climax et la puissance de l'orchestration de Beethoven masque pourtant à peine le retour du violon comme instrument évocateur de la pluie. Nouveauté, l'apparition de la flûte, instrument ô combien important, aux côtés d'autre bois, pour notre genre. Depuis l'Antiquité, la flûte est l'instrument associé au beger et son usage restera chose commune, même quand notre personnage aura disparu de l'histoire. La forme légèrement concertante de son utilisation, où elle s'appuie, répond et questionne l'orchestre est pour moi une méthode brillante d'équivalence, malgré ma méfiance de ce terme, de la perspective et du chemin de l'œil. La paysage musical peut aussi être vu comme cela: offrir à l'oreille un chemin analogue à celui de l'œil en peinture de paysage. Le 19° siècle adoptera délibérement cette stratégie, en la développant et en la raffinant.

Gardons en tête ces codes fondateurs de Beethoven pour entrer dans l'abondance paysagiste du 19° siècle. Ils seront repris, commentés et développés. Puis viendra la musique Hollywoodienne, qui reprendra à son compte ce langage pour le développer, le changer, et en faire ce qui dans l'esprit public est maintenant la musique de paysage. Tout au moins m'efforcerais-je de le montrer.

Je reviendrais aussi très vite sur Les Saisons de Joseph Haydn, laissé de côtés pour cette fois mais essentiel pour les bases de cette étude, et qui aurait dû être étudier en parallèle avec les œuvres de Vivaldi et Beethoven.


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